RESISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

La résistance aux antibiotiques est l’une des plus grandes menaces auxquelles l’humanité est confrontée.

Un problème urgent à résoudre est l’émergence de bactéries gram-négatives multirésistantes.

Les résultats d’une recherche fondamentale menée à l’UCL suscitent l’espoir d’y trouver solution.


C’est parti pour une plongée dans l’ultra-petit biologique.

Parmi les bactéries gram-négatives, la plus fameuse est sans conteste E.Coli. Son contour est fait d’une double membrane – une interne (MI) et une externe (ME) – séparant le périplasme, un milieu riche en protéines. L’une de ces protéines, la plus abondante, a retenu l’attention de scientifiques de l’institut de Duve. Lpp, c’est son nom, est une sorte d’étançon qui, métaphoriquement, soutient le mur d’enceinte extérieur qu’est la membrane externe de la bactérie.


« En allongeant cette protéine – par ajout d’acides aminés –, on a allongé les piliers sur lesquels repose la membrane externe. Cela éloigne cette dernière de la membrane interne et rend la bactérie aveugle aux antibiotiques, lesquels ont désormais tout le loisir de l’attaquer et la détruire », explique le Pr Jean-François Collet (UCL), auteur de cette étude publiée dans Plos Biology.


Et d’ajouter : « Jusqu’alors, on ignorait pourquoi les membranes internes et externes étaient éloignées de la sorte. L’intérêt de notre découverte, c’est de démontrer que cette distance coïncide avec le fonctionnement optimal du système d’alarme qui avertit la bactérie lorsqu’elle est en danger. » Perturber la distance inter-membranaire, c’est l’entraver.


Attardons-nous sur ce système d’alarme. L’actrice est une protéine dénommée Rcsf. Elle est également le fruit d’une découverte du Pr Collet qui lui valut une publication dans la prestigieuse revue Cell en 2014. Cette protéine sentinelle surveille l’environnement installée sur le mur d’enceinte extérieur (ME) de la bactérie. « Quand un ennemi, tel un antibiotique, attaque la membrane externe, Rcsf le détecte. Elle se tourne alors vers l’intérieur de la bactérie et envoie cette info à une protéine partenaire postée sur le mur d’enceinte intérieur (MI). »

Cette communication protéique permet à la bactérie de mettre en branle son mécanisme de défense comme l’antibiotique.


En allongeant, par génie génétique, la protéine « étançon » Lpp (et par là en éloignant les deux membranes), le Pr Collet démontre que cette stratégie de défense est alors annihilée. « Alors qu’un antibiotique s’en prend à l’enceinte membranaire, RcsF ne parvient plus à communiquer le signal d’alarme à sa partenaire qui est désormais trop éloignée. La bactérie devient aveugle aux attaques menées contre elle par l’antibiotique. » Et lorsqu’on raccourcit la distance entre les deux membranes ? La bactérie se porte tout aussi mal.


La découverte du Pr Collet ouvre la voie à une avancée pharmaceutique qui pourrait résoudre le problème mondial de l’antibiorésistance. « On a pris contact avec plusieurs sociétés pharmaceutiques, et trois d’entre elles sont intéressées. Par ingénierie moléculaire, on a mis au point une souche bactérienne de criblage. Elle sera utilisée pour trouver des molécules qui empêchent la fixation de l’étançon Lpp sur la membrane externe. Cette astuce a pour effet de fragiliser toute l’architecture de la bactérie, laquelle est alors rendue davantage sensible aux antibiotiques, explique-t-il. C’est un chemin du combattant qui commence. Il va falloir trouver des molécules qui agissent de la sorte, les optimiser, s’assurer qu’elles ne sont pas toxiques. Si on a de la chance, on peut espérer que d’ici 10 ou 12 ans, quelques-unes d’entre elles puissent être utilisées en médecine. »


D’autres bactéries antibiorésistantes dans le collimateur

Parmi les bactéries gram-négatives, seule E.Coli (responsable d’infections urinaires) a été testée par l’équipe de l’UCL. Néanmoins, « la protéine étançon Lpp qu’on a allongée est très préservée chez toutes les entérobactéries. C’est le cas de la salmonelle, de Klebsiella qui peut causer des problèmes importants dans les hôpitaux et de Yersinia, l’agent de la peste », explique Pr Collet. Le mécanisme de défense de ces bactéries face aux antibiotiques pourrait être mis à mal grâce à la découverte de l’UCL. Il en est de même de « Pseudomonas aeruginosa, la bactérie qui cause souvent la mort de patients atteints de mucoviscidose. Sans être une entéro-bactérie, elle ressemble à E.Coli, avec son double mur d’enceinte, ces protéines étançons etc. Elle est une des 8 bactéries pathogènes contre lesquelles il est urgent de trouver de nouveaux moyens de lutte. »


L.TH DANS LE SOIR DU 20-12-2017