BACTERIES CANNIBALES

Des chercheurs de l’UCL ont découvert des bactéries « cannibales » capables de rendre aux antibiotiques leur efficacité. De nouveaux traitements antimicrobiens pourront ainsi être étudiés.
Il y a environ 700 espèces de bactéries et de champignons qui cohabitent, plus ou moins pacifiquement, dans notre corps », avance Johann Mignolet, chercheur post-doctorant à l’Institut des sciences de la vie de l’UCL. Avec le professeur Pascal Hols, il a découvert le curieux comportement de l’une d’entre elles, qui devient « cannibale » pour s’adapter à notre écosystème et y survivre.
« Chaque bactérie doit lutter pour avoir à manger et se faire une place à l’intérieur de nous… En général, elles cohabitent pacifiquement. Parfois, elles deviennent nuisibles pour l’être humain. C’est ce changement que nous voulions étudier aux prémices de nos recherches en laboratoire. » Pour ce faire, les scientifiques se sont penchés sur « Streptococcus salivarius », une bactérie qui prolifère dans la bouche et l’intestin humain. Elle représente presque 25 % de la population bactérienne de l’homme.
« En l’étudiant dans son environnement « naturel », nous nous sommes rendu compte que cette bactérie utilisait un curieux moyen de communication avec ses pairs, poursuit le chercheur. Elle secrète une phéromone qui va augmenter en fonction de la présence d’autres bactéries « ennemies », jusqu’à atteindre un seuil critique. » C’est à ce moment-clef que « Streptococcus salivarius » va libérer des bactériocines : des toxines antibactériennes qui vont tuer les bactéries ennemies, dont elles s’approprient les gènes pour survivre.
Lutter contre le mal par le « mal »
« Jusqu’à aujourd’hui, nous connaissions le mécanisme de libération des bactériocines et l’appropriation des gènes, rappelle Johann Mignolet. Mais ces deux phénomènes sont couplés chez « Salivarius » et c’est une nouveauté prometteuse. » Une découverte que les scientifiques comparent à du cannibalisme de la part de la bactérie : « Comme les tribus cannibales, explique Pascal Hols, ces bactéries tuent leurs ennemis et mangent leurs organes pour assimiler leur force ».
Ce mécanisme « cannibale » pourrait avoir des répercussions d’importance : « Du point de vue de l’application de ces résultats à notre quotidien, on pourrait utiliser cette bactérie comme probiotique, voire en tant qu’agent thérapeutique lorsque les antibiotiques ne sont plus efficaces », envisage Johann Mignolet. Pour l’heure, cette découverte reste au stade de la recherche fondamentale. Les chercheurs collaborent avec une startup pour fournir des solutions industrielles ou cliniques à des entreprises grâce à ces bactériocines.
« Nous lançons ainsi une piste de réflexion pour que l’on se serve bientôt des armes bactériennes contre certaines bactéries : lutter contre le mal, par le « mal » » poursuivent les chercheurs. La recherche future doit venir concrétiser ces traitements, soit en utilisant « Salivarius » tel quel, soit en réutilisant les phéromones qu’elle disperse, soit encore en développant directement en laboratoire les bactériocines. « C’est ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui. Nous espérons bientôt pouvoir utiliser ces bactéries bénéfiques ou leurs armes pour combattre les bactéries qui résistent à plusieurs familles d’antibiotiques… Si les bactéries sont un problème, les bactéries peuvent aussi être la solution ! » sourit Johann Mignolet.
Virus ou bactérie?
« Bactéries et virus ont en commun d’être des micro-organismes, c’est-à-dire des organismes très petits, explique le bactériologue et chercheur à l’Institut des sciences de la vie de l’UCL Johann Mignolet. Si le virus peut être jusqu’à mille fois plus petit que la bactérie, ils peuvent tous les deux provoquer des maladies. »
La principale différence entre les deux réside dans le fait que les virus sont des organismes parasites qui prennent possession de leur hôte, alors que les bactéries sont des cellules vivantes indépendantes. Les bactéries qui provoquent des maladies peuvent être soignées par antibiotiques, tandis que ces derniers sont inefficaces contre les virus. On dispose aujourd’hui de médicaments contre certains virus, qu’on appelle des anti-viraux. Pour lutter contre les virus qui provoquent des maladies, le meilleur moyen reste la vaccination.
« Il y a plus de cent mille milliards de bactéries réparties en 700 espèces dans le corps humain : c’est dix fois plus que des cellules humaines ! Normalement, ces bactéries sont « neutres », voire bénéfiques pour la santé : si vous n’aviez aucune bactérie ou champignon dans votre corps, vous ne pourriez pas survivre ! » rappelle Johann Mignolet.

 LeSoir en ligne 13-02-2018